samedi 16 juin 2012

Fermé pour cause d'inachevé

On s’enferme sur cette petite place carrée — mérite à peine le nom de place. Porosité du calme, du silence. Quatre arbres malheureux qui n’ont pas eu la chance de grandir au grand air. L’un, plus large plus assuré, protège les trois autres. De quoi, on ne sait pas.
Illusion de la place. Illusion de la rotondité.

Que vient-on chercher là ? Une preuve à sa solitude : la preuve qu’on est seul, on revient, erre là un matin de printemps mouillé — faux printemps, fausse matinée.

En colère. Colère, ressentiment, mesquin. On se sent sale d’être aussi mesquine. Mais c’est ainsi. Ça pourra peut-être, qu’en sait-on ? La suite nous le dira, les quelques mots (milliers ? millions ?) nous le diront.

On s’enferme de nouveau. On oublie la place, il n’y a plus qu’un perron, une marche sur laquelle on s’assoit.
Interruption du cycle ?

Rumeur résumée plus discrète plus perceptible plus palpable sans chercher sans vouloir.
Trivialité des événements — prosaïque. Qui eût cru que la vie pouvait être aussi banale, que les plus grosses surprises pouvaient être vécues avec une telle indifférence.
Indifférence, observation, jouissance, certes, mais pas bouleversante, jouissance aisée, facile, poids dont on se débarrasse, qu’on laisse derrière soi avec aussitôt l’envie de l’oublier, ou, non de l’oublier, mais qu’il soit une fois pour toutes derrière, dans le passé, toute réalité palpable effacée.
Va-t-en.

Enfermée sur cette petit place. Je me souviendrai toujours de la révélation qui m’a été faite près de cette petite place, petit coin pastoral caché à quelques mètres à peine d’un boulevard.

Après midi ensoleillée. Douceur de juin. Parfum de vacances. De congé plutôt.
Ivresse d’un bonheur fugace. Souvenir impalpable et doux.
Et toutes les questions qui ont suivi. Sans jamais entacher la pureté originelle. Bonheur opportuniste, secret sans fin. Secret bien caché. Qu’on ne révèlera pas, jamais.

Agacement, frustration. Temps figé par le sentiment.
Pas d’indifférence. Pente douce vers plus de frustration, plus de fatigue.
Va plus loin. Descends encore. Une marche après l’autre. Même si pas envie. On n’a jamais vraiment envie.
Il n’y a plus de bout du rouleau. Depuis longtemps dépassé. Plus de bout du rouleau. On s’aperçoit chaque instant que ça peut toujours être plus sombre.
Un peu comme la nuit, l’accoutumance des yeux à l’ombre, qui devient pénombre, puis ombre à nouveau.
Pas de fin à cette lente descente.
Mais imaginer que la lumière n’ait pas cycle. Pas de jour, ni de nuit. Pas de succession, pas d’évidence.
Juste celle-là.
Ça peut toujours être plus sombre.
On se complait ouvertement mais au fond on n’a jamais vraiment envie, on voudrait remonter, que ce soit facile de remonter, enfin.
Mais où vous croyez-vous ? Comment pouvez-vous croire que c’est facile de remonter. Au fond. On reste au fond. Plus bas.
Descend encore.
Pas envie.
Même si pas envie.
Même si pas envie, on t’a dit !

jeudi 7 juin 2012

3. Un Calvaire?



Mes yeux se sont donc accrochés à cette chapelle, datée de 1529. Mon regard s’est suspendu à ce calvaire derrière sa grille ourlée. La course du temps a suspendu un instant son vol au filigrane de ses tombeaux nombreux, accorts cénotaphes embellissant ses abords de dentelle mortuaire. Non que ce catafalque soit éclatant, au contraire. Sa restauration souligne une bienveillance manifeste mais malhabile. Peut-être est-ce cette maladresse qui me donne envie de creuser le sujet. La gaucherie touchante de la bonne volonté rurale, une détermination poignante à préserver un bien ni ostentatoire ni singulier dont l’importance ne tient qu’au titre d’artefact de la vie locale.

On aurait pu détruire ce qui subsiste de cet édifice lors de la construction de la chaussée vers Luxembourg, mais pour une fois « on » a décidé de le protéger. Des fois j’aime bien « on ».



Son architecture rappelle celle de tant d’autres, composée de voutes d’ogives, en berceau, à lunettes, son plafond rehaussé de pans coupés, bordé d’un toit d’ardoises aux longues pentes croupies. La banalité d’un chœur à chevet polygonal trône en toute humilité, les sculptures aux ornements végétaux sont celles que l’on croise communément. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Pourtant…



Une épigraphe sur la porte « construite en 1529 sur l’autorisation d’Antoine, duc de Bar et de Lorraine » fait référence à la présence de ces ducs à Longwy. Je ne peux dès lors m’empêcher de méditer sur le destin de la Lotharingie, histoire riche par excellence.

Je m’étonne de découvrir que Longwy fut si concernée et surtout de si près par ces ducs.

Me voici sur les marches de cette chapelle essayant de m’imaginer le visage de la ville au 15ème ou 16ème. Difficile de prime abord. Je me surprends à dessiner des portraits aux ombres qui ont gravis ces mêmes marches il y a près de 500 ans.

J’imagine ces échines courbées par la dévotion, les bourgeois enrobés côtoyant le vilain en ce lieu de culte.

Ainsi l’importance de ce bourg serait plus prédominante que je ne l’envisageais ? J’aurais juré Metz bien sûr, Nancy, Thionville, Sierck… Mais Longwy… Je n’ai jamais rien lu sur le sujet dans les communications culturelles clairsemées de la municipalité. Et je me jure bien sûr d’approfondir la question. Il me tarde maintenant de rentrer chez moi et pouvoir fureter sur internet.



Mais revenons à ce calvaire.

Base Mérimée… ( Youpla boum).

Je tape Longwy sur mon clavier et le prodige de la technique me laisse une fois encore admirative. Pour la génération qui est la mienne, éduquée à devoir partir à la pêche aux informations dans les bibliothèques poussiéreuses, c’est comme un petit miracle qui se reproduit à chaque fois. Et ce sont bien les photos de « mon calvaire » que j’ai sous les yeux.




Des clichés en noir et blanc comme il est recommandé dans la procédure conservatoire de l’inventaire général du patrimoine culturel, car plus résistants aux outrages du temps.



Je griffonne sur le carnet à ma droite :

Blablabla… calcaire… j’avais vu juste… déplacé à plusieurs reprises… dimensions… manque la Vierge et St Jean qui entouraient le christ…inscription gothique illisible… probablement daté du … 16eme ?

Voilà une date qui m’interpelle et par laquelle je ne suis pas convaincue.

D’abord en raison de son style et des éléments qui le composent. Je fronce les sourcils et me demande sur quoi ils se basent pour une telle hypothèse hormis la date de construction de ce qui fut en son temps l’église de Notre Dame du Mont Carmel pour devenir cette chapelle… je poursuis.

Style néogothique. Nous sommes d’accord. Mais ce que je comprends moins encore c’est la raison qui pousserait un artisan de la Renaissance à user de l’apparence gothique consommé pour la création de cette crucifixion alors que ce style était fini et surtout fortement décrié à cette époque.

On crachait en effet sur le gothique, style issu de l’âge sombre, le moyen-âge, considéré comme barbare et répugnant aux yeux des renaissants. Ça me parait difficile à croire.

Même si l’on envisage l’hypothèse d’une ignorance des nouveaux mouvements artistiques dans la région, ça me parait difficilement vraisemblable.

L’artiste en question aurait-il pu être coupé du monde, des modes et des mouvances à ce point ? Et même si c’était le cas, et si on avance l’idée que cet artisan était extravagant, troglodyte et ermite, et qu’il ait crée ce calvaire dans un style hors d’âge, personne n’en aurait voulu, et encore moins le mettre à la vue de tous. Ce serait trop la honte.

Puis l’hypothèse d’un manque de renseignement artistique n’est pas très cohérente non plus. Longwy était trop bien placée sur la route qui reliait les artistes du nord, en particulier d’Anvers, à l’Italie pour être épargnée de toute information. Ces artistes se déplaçaient continuellement pour échanger leur savoir-faire et apprendre les uns des autres les évolutions techniques et les tendances. À tel point que j’en arrive parfois à me demander si le bouleversement artistique de la Renaissance n’est pas flamand plus italien. Cette théorie ne me paraît donc pas vraisemblable.

Certes en France, au sujet de l’architecture on note un retard tangible au regard de l’évolution artistique picturale à la période charnière de la fin du moyen-âge et de la Renaissance artistique. Couramment le style gothique est encore usité, spécialement pour les édifices religieux, mais du gothique flamboyant dont on ne retrouve aucune trace du caractère ostentatoire de cette sculpture. On peut pourtant remarquer que la statuaire a suivi la même mouvance tardive, surtout celle qui a vocation religieuse. Mais même. Ça me laisse dubitative… N’oublions pas que des artistes tels que Michel Ange sont du 15ème et ont révolutionné les styles et les approches. Une simple comparaison avec la statuaire de l’époque suffit à créer le doute.

On y trouve en effet bien plus de finesse et d’expressivité dans les corps et les visages. Cet aspect figé que conserve le calvaire demeure une caractéristique très spécifique du moyen-âge. Donc je pense non à la Renaissance, non au 16 ème, non au 15 ème mais bien le 14ème tout au plus.



Mais pour en être certaine il me faudra me pencher plus avant sur les particularités culturelles locales, m’intéresser à l’histoire de Longwy me permettra certainement d’affirmer ou infirmer l’idée qu’il s’agissait d’une enclave à ce point coupée du monde.



Et les hiéroglyphes ? Vous les voyez ? Cette foultitude de bas-reliefs en bas sur le fût ?



On y découvre des tenailles, marteau, griffes et le serpent insidieux, icône de l’incarnation du mal, qui rampe sur la gauche, vous le voyez ? Ils me rappellent étrangement ceux que l’on trouve depuis l’antiquité pour imager les instruments de la Passion du Christ. Mais cet usage ancestral était parfaitement exclu au 16eme ! Le mystère se corse et ma conviction se nourrit pendant que mes talons claquent sur le bitume du chemin du retour.

Ainsi, une bête curiosité poussée au bout de la rue me laisse deviner que cet édifice n'est que la partie émergée de l'histoire de cette ville dont les éléments illustrent une trame plus globale: La Lotharingie, les comtes de Bar et ducs de Lorraine successifs avaient fait de cette ville l'un de leurs fiefs principaux.

Cette histoire promet d’être alléchante…


mardi 5 juin 2012

2. Pourquoi raconter l'histoire de Longwy?


Un samedi.

Bêtement, par hasard, par manque d’imagination, par pétrarquisme, proximité, paresse? Les hypothèses ne manquent pas.

Mais refaisons le chemin à l’envers.

Une rue, banale.
Une rue ou rien n’attire l’œil. Ni jolie, ni laide. Une rue.
Une rue pas très loin de chez soi.

Une de ces rues que l’on ne pratique qu’en voiture, que l’on ne détaille jamais, une rue que l’on se contente de parcourir l’esprit encombré par les préoccupations du quotidien. Une rue dont la seule vocation est d’être une artère passante, une petite rue d’une petite ville, un étroit passage vers l’ailleurs.

Puis un samedi.

Samedi triste, sans passion, qui s’étire comme un chewing-gum collé sous la semelle. Le ciel de plomb est tel qu’on se l’imagine à travers les descriptions de Zola, Germinal du vingt et unième siècle.

Au volant du char d’assaut qui me tient lieu d’automobile, ce samedi, je circule dans cette rue, ce chemin vers l’ailleurs, comme je l’ai déjà fait tant de fois.

Mais ce samedi, mon regard traine plus qu’à l’accoutumée sur les bâtiments qui m’entourent. La plupart sans style et sans caractère, certains en ruine en deviennent touchants de fragilité. Ces bâtiments qui n’intéressent plus personne, que beaucoup voient comme des verrues dans le paysage, que le commun préfèrerait voir disparaitre au profit d’un ensemble moderne, neuf, sentant le propre et l’aseptisé ; ces bâtisses m’attendrissent.

C’est un peu comme notre mémoire atteinte d’Alzheimer, l’amnésie perfide de ceux qui les ont réfléchis, de ceux qui les ont bâtis de leurs mains, qui y ont gravé la trace de leur peine laborieuse, de ces familles qui y ont vécu. Ces murs, je me surprends souvent à retenir mon souffle en les observant, comme si ma fébrilité pouvait suffire à les effondrer tant ils semblent n’être retenus que par leur seule volonté à subsister, par la frénésie de leur détermination à survivre. C’est cela qui force mon respect.

***



- Attends une seconde, quitte pas.

o Edgar ??? Qu’est-ce qu’y a ??? Ça va pas ???

- ……

- Scuse, c’est le chien, il m’a fait peur.

Tu disais ?

- Il a quoi ton chien ?

- Rien, rien ! J’ai cru apercevoir un éclair d’intelligence dans son regard, ça m’a fait flipper. Mais c’est bon fausse alerte ! Alors, y a quoi derrière chez toi ?

- Une chapelle. Dis, tu pourrais éviter de mâcher tes chips si près du combiné, steuplé ?


- Scronch scronch scronchmais y en a parffftout des chwapellesscronch scronch scronch

- Oui mais celle-ci, il y a un petit jardin à coté entouré de grilles et en passant j’ai aperçu des sculptures. Elles n’avaient pas l’air de dater d’hier…

- Scronch … et alors ? après avoir vu la vierge dans un paquet de nouilles, t’as trouvé Dieu dans la fiente de pigeon posée sur le grille ? hi hihihi

- Tu m’em…

- Moi aussi ch’t’aime !
huhuhu

- Non. Simplement j’ai pris ma cam et je suis allé filmer, pour faire des recherches. La sculpture est en fait un calvaire en calcaire. Splendide. On se demande ce qu’elle fait là abandonnée aux intempéries. Au premier abord je dirais 11eme ou 12eme siècle. Encore en très bon état. Tu veux que je t’envoie le film ?

- Non, surtout t’embête pas ! Ça va aller. Et donc tu veux faire quoi ? Alerter le ministre de la sculpture pour sauver le chemin de croix ?
hihihi

- Très drôle. Non, je vais faire des recherches, ça m’interpelle… Il doit y en avoir une trace aux Monuments Historiques. Je vais aller fouiller dans les bases de données voir si je peux trouver d’autres renseignements.

- Mais c’est pas un monument c’est une statue ?!

- Oui ben dans la base Mérimée ou Palissy, on verra bien. Je peux quand même pas rester sans savoir ce que c’est.


- Scronch scronchBen fonce professeur Folledingue, tu me raconteras.

- Seulement si tu cesses de manger dans le téléphone quand je t’appelle.


Voilà, c’est ainsi que l’on commence à aller fureter dans les archives du patrimoine sans savoir dans quoi on vient de glisser le pied…

dimanche 3 juin 2012

1. Pourquoi écrivez-vous?




Pourquoi écrivez-vous ?

Sempiternelle question posée par tout éditeur qui se respecte alors que vous envoyez votre manuscrit à son approbation. Ai-je dit question idiote ?

Allez, je me motive, je respire, et je libère tout ce que je contiens de franchise mâtinée peut-être d’un peu de diplomatie.

Écrire. Certainement la meilleure idée que l’homme ait eue.

Écrire. Certainement la plus mauvaise idée que j’ai eue !

Chronique d’une calamité annoncée : « Tous aux abris, Pétasse se prend pour un auteur».

Il y a de quoi se mettre en liste rouge, aux abonnés absents, éteindre toutes les lumières, fermer les volets, et renvoyer son courrier signifié de NPAI.

Oui.

Car quand Pétasse se prend pour un écrivain, avec la grande charité qui la caractérise, personne n’échappe à ses demandes de relecture, à ses « t’en penses quoi ? » « Oui, mais c’est pas trop ci ou trop çà ? », « tu crois pas que ? » « Comment ça t’as autre chose à faire ? »

Et ça fini inévitablement par une Pétasse vexée comme un pou ou frustrée, et un entourage pourtant plein de bonne volonté mais résolu à souscrire à l’abonnement au Prozac en promo avec toute inscription au « Cercle des Proches de Chieuses Émérites. »



Pourquoi j’écris ? En voilà une grande et belle question pour un adepte de l’astiquage de nombril mèche au vent, regard perdu dans le vague, pour un disciple de l’autopsie du « mon-moi-si-profond-qu’on-entend-l’écho » sans plus de raison d’être que de consistance. (J’ai dit diplomate ?)

Mais ne soyons pas avaricieux de nos cours de philo, gardons l’esprit ouvert à tout questionnement situé à mi-chemin du « pourquoi mon anus se trouve derrière » et « Quand je mets mon doigt ici, ça fait quoi ».



Cette question a-t-elle sincèrement un sens ?

Oui. Bien sûr que oui.

Car tout questionnement a un intérêt chiantifique.

Puis le principe du questionnement nous rassure sur la présence potentielle de sources cognitives que notre encéphale mou est supposé pouvoir mettre en branle. Mais le simple fait de ne pas trouver la réponse nous rappelle aussi que ce dit bulbe rachidien est largement atrophié par les années de fiesta entre copains, les substances illicites ingérés à la chaine, le stress du travail (seule excuse socialement respectable et donc pas des moindres) et que les années qui passent demeurent indiscutablement neuronophages.



Alors, reprenons.

Le principe « d’écrire » a-t-il lui-même un fondement, une utilité ?

Y a-t-il un sens à toutes ces lettres ? À tous ces mots ? À toutes ces phrases ? Ai-je donc tant de temps à perdre pour me poser ce genre de questions futiles ? Ah, pardon monsieur l’éditeur, c’est vous qui l’avez posée, j'oubliais….



Pourquoi j’écris…

J’écris car je suis ? Transcription scripturale d’un cogito ergo sum qui a mis en surchauffe la cervelle de tant de générations… Mais cette réponse me laisse perplexe.



Qui suis-je pour prétendre écrire ? Eh bien, je ne suis justement personne.

Alors ?

Alors écrire, en ce qui me concerne, c’est un moyen de penser, de réfléchir, et aussi une façon d’agir.

J’écris par fanatisme, je réfléchis par idéalisme, et j’agis par conviction. Que de prétention dans ces derniers mots, mais ça en jette, non ?

Pourtant ce ne sont pas les uniques raisons de ma folie encrière mais j’y reviendrai plus tard.



Au fil du temps, écrire est devenu synonyme de gains ostentatoires dans l’imaginaire populaire et parfois dans la réalité. Une forme de financement alternatif de l’ego surdimensionné, capable de faire et de défaire l’ascétisme littéraire.



La réussite littéraire s’apparente à une suite de mots qui deviendrait un livre, livre qui deviendrait à son tour un best-seller mais qui reste pourtant une bête suite de mots. Une écriture qui deviendrait en somme une simple ligne de compte. À chaque mot, à chaque signe, serait alors associé un montant en euros sonnants et trébuchants. On s’achemine doucement vers un non-sens littéraire, un désert créatif remplacé par la perspective du gain et de la rentabilité. Les mots n’ont plus de sens que le prix que l’on est prêt à y mettre.



Alors pourquoi j’écris ?

En ce qui me concerne, j’écris couramment, et je dis bien « je », à tort et à travers, surtout à tort.

J’écris ce qui me passe par la tête, le fruit de mes recherches, les images que cela produit en moi, les histoires que cela me raconte. J’écris ce qui me traverse, ce qui me touche et me bouleverse parfois, mais surtout je veux écrire ces sentiments que l’on ne lit jamais entre les lignes des dates des grands évènements plus ou moins connus.

Chacune de mes lignes, chacun de mes mots je les veux chargés d’une sensation, d’une émotion, d’une conviction. Les leurs, les miennes, les nôtres.



Et je n’ose avouer au regard de ce principe combien de livres je tiens au rang de farce scripturale. Je n’ose me remémorer le nombre de bouquins que j’ai refermé sur un sentiment d’inachevé, le gout amer que laisse le vide d’une histoire pourtant bien construite techniquement mais si creuse d’humanité.



Prenez des lettres, faites des mots. Alignez ces mots, vous aurez des phrases. Avec un peu de chance vous arriverez à votre but, au bout de votre histoire. Mais comme votre histoire reste désespérément vide, exempte de toute humanité. Dans chacune de ces lignes, on trouve au final un compte en banque ou un éditeur se questionnant sur une ligne de profit.

En définitive, n’importe quel abruti est capable de prendre un stylo et écrire, mais écrire au sens propre, écrire pleinement, écrire avec ses tripes plus qu’avec son savoir, n’est donné qu’aux imbéciles profonds et heureux de mon genre.



Un dimanche pourri parmi tant d'autres


Aujourd'hui l'humeur n'est plus aux pioupious les p'tits oiseaux qui chantent au monde des Bisounours. Ce ne serait pourtant pas pour me déplaire je l'avoue.

Mais tu es très perspicace, tu as deviné qu'aujourd'hui, ce ne sera pas le cas. Je ne vais pas jouer à la boute en train, je ne vais pas faire le clown ou jouer à la forte. Non. Aujourd'hui,  je vais me plaindre, allègrement. C'est mon blog, je fais ce que je veux après tout.


Je vais donc te donner la recette pour réussir un dimanche bien pourri:


1) Tu prends un dimanche, et tu lui mets de la pluie, dès le matin. Pas de la neige, parce que la neige, c'est boôOÔOôo. Pas une petite pluie printanière et intimiste non plus. Non, de la pluie, forte, bruineuse, avec des éclairs ou de la grêle si tu veux, mais de la pluie qui mouille. C'est très important pour le reste de la journée.


2) La veille, tu prendras soin de te coucher trrrrrès tard, pas parce que tu as fait la fête, non, ce serait trop sympa, mais plutôt parce que ton organisme aura décidé sans te prévenir de se mettre un gros décalage horaire dans la couette, comme ça, pour le plaisir, et surtout que tu as regardé des films à la con (ceux qui sont sensés te faire pleurer et y parviennent à coup sûr, ou ceux sensés te faire rire et qui se plantent la majorité du temps) sur ton ordinateur pratiquement toute la nuit (Internet est vraiment magique pour les insomniaques torturés!). Oui, le dimanche pourri se prépare à l'avance!


3) Tu es donc levée, la matinée est largement terminée, et il pleut, deux bonnes raisons pour t'empêcher d'aller chercher des croissants ou du pain frais à la boulangerie. Tu te contenteras donc de ton café matinal de la semaine, en un peu moins sympa parce qu'en plus, tu n'as plus de café.

4) 14H: devant le temps plus que maussade et l'irrépressible besoin de sortir de chez toi pour ne pas devenir fou, tu regardes autour de toi te demandant ou tu pourrais bien aller trainer ton spleen. Sur les conseils des amis, tu te motives, car oui il faut sortir, ne pas rester à broyer du noir inutilement, ou pire: commencer à réfléchir. Alors tu tentes d'y croire que ça pourra un peu égayer ce dimanche dégoulinant de morosité Tu postes un statut sur Facebook par pur désœuvrement, car les dimanches pourris on ne s'imagine pas que ses petits états d'âmes minablement égocentriques puissent intéresser qui que ce soit, les dimanches pourris nous transforment en êtres résolument clairvoyants.


5) 15H: Tu as faim, mais tu as la flemme. Les livreurs de pizza sont fermés, donc tu te réchauffes un peu de rien qui traîne au frigo en prenant soin de ne pas vérifier la date de péremption, et tu te fais une sorte de gloubiboulga en hommage à ces petits riens que faisait ta grand-mère pour te caler les jours de pluie. C'est bizarre, mais à 8 ans, ça semblait plus appétissant. Comme tu as faim, tu manges, avec la consolation qu'au moins, c'est chaud et ça te tiendra au corps jusqu'à ce soir...


6) 16H15: Tu regardes pour la quinzième fois si quelqu'un a décidé de se souvenir que tu existes. Apparemment, tes amis ont décidé d'hiberner pour la journée... sauf ceux qui sont trop occupés par leur vie familiale bien remplie pour te venir en aide, et qui finalement te déprimeraient encore plus. Tu décides alors d'aller te doucher, et finalement, de te faire belle (on ne sait jamais, le prince charmant se trouve peut-être dans un recoin de ton inconscient, tu ne voudrais pas qu'il te voit avec cette tête là?!)


7) 17H30: Tu pars de chez toi, lavée, habillée, maquillée, brushée (c'est dimanche, il pleut, les heures comptent double alors tu as le temps, alors que la semaine, non). Perchée sur tes sandales ouvertes à talons aiguilles, tu enfiles on plus bel imper. Allez hop, action, on se motive, ce n'est pas une raison pour broyer du noir, et il parait que se faire belle me redonne le moral!


8) 17H35: tu ouvres ton parapluie, et te dis que le brushing sous la pluie, ce n'était pas une bonne idée...


9) 17H50: tu arrives nulle part. Apparemment, puisqu'il pleut (au cas où depuis le paragraphe précédent, tu aurais oublié...) le reste du monde n'a pas eu la même idée que toi, et décidé de rester au chaud à la maison. La ville ressemble à un no mans land investi par les corbeaux. Du coup, tu pars en quête d'un salon de thé pour prendre une boisson chaude, une pâtisserie pour te réconforter, vérifier que l'humanité existe encore. Tu en profites pour faire le tour des  rares vitrines fermées qui jalonnent ton chemin, pour passer le temps, et tu t'aperçois que les promenades sous la pluie le dimanche, c'est un sport qui se pratique en couple. Tu vérifies: non, tu es seule sous ton parapluie. Après avoir parcouru la rue principale du centre-ville en vain, tu décides de remonter chez toi, sans boisson chaude ni aucune forme de sucre pour te réconforter.


10) 18H25: Tu te réconfortes comme tu peux: après tout, il vaut mieux n'avoir croisé personne car les dimanches de pluie les gens sentent le chien mouillé. Répandre son fiel les dimanches pourris est un sport qui peut parfois sembler reconfortant. Tu passes devant 3 pâtisseries fermées, et tu as l'impression d'y voir l'histoire de toute ta vie: toutes ces choses alléchantes tu les observes derrière une vitre hermetiquement close, tu n'y as pas accès, tu te contenteras d'en avoir envie sans pouvoir y toucher. A ce moment là ta déprime est au beau fixe. Tu renonces.


11) 18H45: tu t'installes devant ton ordinateur, avec une tisane bien chaude et un clafouti industriel en barquette aluminium périmé et assez dure pour te casser les dents dessus, une bougie aux épices, un peu de musique classique et tu entreprends de saper le moral d'autres personnes en racontant ta journée... parce que ça, ça remonte un peu le tien, de moral.

mercredi 18 avril 2012

Intellos précaires ou les prolos du savoir


             Je suis une intello du dessous. De ceux qui grillent des neurones, qui lisent des giga-octets de livres, de magazines, de pages web, de tracts, de pétitions et n’en ressortent jamais rien. Comme une machine qui consommerait un maximum de pétrole uniquement pour entretenir sa surchauffe, l’intello du dessous consomme un maximum de facultés intellectuelles... en pure perte !

                Un intello précaire c’est quoi ? Un OVNI social : cette masse de pigistes, auteurs, nègres, salariés en contrat à durée déterminée, en contrat emploi-solidarité, chercheurs indépendants, professeurs vacataires, infirmières sans hôpital fixe, et j’en passe… Un mutant sous-payé, qui pour survivre doit cumuler plusieurs emplois. Et, comme tous les précaires, il échappe à toutes les classifications. L’évolution du travail dans les secteurs de la presse, de l’édition, de la recherche, de l’Education et de la culture en fait une figure incontournable.
Et les derniers constats sont accablants : la précarité de cette « nébuleuse de travailleurs de l’intellect qui partagent un certain sort dans le monde du travail contemporain » s’est aggravée. Bien sûr les syndicats et les partis de gauche ne se sont toujours pas vraiment emparés du sujet.
L’intello précaire est en somme excessivement libéral et excessivement marginal.
Excessivement libéraux pour les analystes de gauche car ils se livrent à une concurrence sauvage dans un environnement largement déréglé, excessivement marginaux pour les analystes de droite qui voient en eux d’abord des opposants à la sacro-sainte culture d’entreprise. L’intello précaire, c’est la victoire du libéralisme, le rêve du Medef. Mais c’est aussi une des plus belles preuves de la survie de l’individu devant la barbarie libérale : L’intello précaire est une excroissance du système en même temps qu’un antidote. Saviez-vous que 50% des RMIstes parisiens exerçaient une activité artistique ou intellectuelle ?

                 L’intello précaire est un travailleur hard-discount. Il est auteur, éditeur en free-lance, journaliste pigiste, correcteur, nègre, photographe, enseignant non-titulaire, doctorant sur-diplômé partant exercer à l’étranger. Bien souvent, il cumule plusieurs de ces « statuts ».

Il ne connaît pas les RTT, les remboursements de frais, les congés payés, les tickets resto, ni les arrêts-maladie, et ne les connaîtra plus jamais. Obligé d’avoir plusieurs activités en même temps, il est harassé par le travail mais ne gagne pas plus. Une démonétisation qui s’apparente à un vrai choix de société. Tout comme une tendance croissante à l’externalisation. Travailler plus pour gagner plus se transforme dans cette classe sociale en travailler plus pour gagner moins.

L’intello précaire travaille pour garder du travail. Il a parfois des fréquentations mondaines, un sérieux prestige, une force d’abattage remarquable, et un style de vie apparenté bobo.

L’intello précaire est passionné, dopé à la survie. Il croit en la connaissance par le style, le goût, le courage et la distinction. Mais quand un intello précaire rentre seul d’un dîner en ville, il ne dort pas : il travaille. Sacrifier tout, ou au moins beaucoup de leur passion, au métier qu’ils aiment, c’est le choix de nombre d’entre nous.
Parmi les secteurs concernés, la presse bien sûr. Pour les journalistes, les critères d’obtention de la carte ne sont pas accessibles à ces extra-terrestres. En effet, la majorité des revenus doivent être issus de la presse paritaire, celle qu’on trouve en kiosque et en ligne, ce qui exclut de fait ceux qui sont obligés d’avoir une autre activité pour vivre. Dotés de tous les outils théoriques nécessaires, habités d’un vif intérêt pour la marche de la société en général, ils sont des analystes très compétents de leur propre situation – d’autant plus que certains ont l’habitude de travailler sur la précarité : un magazine comme Les Inrockuptibles, notamment, qui a trouvé là un créneau éditorial jeune et branché, fait réaliser ses dossiers par des légions de pigistes payés au lance-pierre, voire pas payés du tout.
De très nombreux pigistes doivent en effet recourir à d’autres métiers pour compléter leurs revenus : romanciers, correcteurs ou lecteurs dans l’édition, avoir recours à une activité au noir, travailler dans l’évènementiel, ou bien nègres littéraires. Des activités qu’ils ont obtenues en étant repérés… par leur travail journalistique ! La liberté obligée devient liberté “choisie”. Car si le choix n’en est que relativement un, il enseigne une nouvelle manière de voir le travail, l’entreprise, l’institution, l’argent, le statut.
Le revers de la médaille : ce genre de journaliste doit travailler vite et bien. Mais les enquêtes, les sujets approfondis, une approche sereine du temps de préparation, la lecture d’un livre par jour en moyenne (dans mon propre cas), sont inconciliables avec ce « vite et bien », qui convient mieux à un sprinter du 100 mètres qu’à un travailleur du cerveau. Un journaliste doit suivre le feu de l’actualité, mais le sérieux de son travail repose aussi sur la distance qu’il établit, dans son papier, entre l’actualité et la vérité, le réel et le compte-rendu du réel. Pour un pigiste, le compte ne sera jamais rendu. A lui de faire qu’il soit bon.

Ce qu’un journaliste précaire apprend sur lui-même : une nouvelle approche des notions de travail, de sérénité, de vie privée, d’espace-temps, de santé, l’importance du sport. Le pigiste subit de plein fouet la contradiction de la crise du secteur : vu la multiplication des pigistes, il a plus de chances d’avoir des sujets à réaliser, sans participer autant qu’avant -faute de temps, car il doit travailler pour plusieurs publications- à la vie rédactionnelle et interne de ses journaux.

Par ailleurs, le coût social considérable de la gratuité revendiquée sur le web, et le fait qu’il n’y a d’autres moyens pour le moment que d’avoir recours aux statuts vulnérables et au bénévolat, est un facteur supplémentaire favorisant cet état de fait.

Même le Syndicat national de l’édition (SNE) ne peut fournir les chiffres des « travailleurs externes » de l’édition : correcteurs, éditeurs en free-lance... Au final, pour les auteurs, l’identité du plus brutal employeur de précaires en France est claire : l’Etat. Par exemple, aucune entreprise ne peut légalement faire travailler une personne durant seize ans sans lui proposer un CDI. Sauf l’Etat.

Diplômés et sans statut, voici les intermittents de la culture. Ils sont jeunes (ou pas), diplômés, voire surdiplômés et, particularité notable, enchaînent sans relâche stages, petits boulots et contrats à durée déterminée. Ils, ce sont les nouveaux intermittents de la culture. Un même mouvement inquiétant semble en marche partout : la baisse quasi constante du prix du travail dans les secteurs intellectuels et culturels. Une démonétisation qui s’apparente à un vrai choix de société. Tout comme une tendance croissante à l’externalisation. Journalistes, chercheurs, sociologues, correcteurs, éditeurs, historiens ou plasticiens, ils exercent les mêmes fonctions que leurs confrères, mais ne jouissent pas du même statut.

Inconnus des sociologues établis et, paradoxalement, de plus en plus nombreux, ils sont sortis de l'anonymat Pour parer au plus urgent et assurer les fins de mois, un système parallèle se met en place: l'intello précaire active son réseau - souvent constitué d'autres précaires - et cela fonctionne parfois. Les syndicats continuent de ne rien voir. Et les employeurs s'en donnent à cœur joie.
A preuve, le CNRS, après lecture de leur ouvrage traitant du sujet, a proposé à Anne et Marine Rambach de travailler sur ce nouveau phénomène de société. Bénévolement. 

mercredi 11 avril 2012

La précarité à la télévision: de qui se moque-t-on?

La précarité et la crise du logement : deux graves sujets de société, habituellement exponentiels de l’actualité ces dernières années. Au travers de talk-shows divers, le petit écran s’en préoccupe de plus en plus abondamment. Implication réelle ou course à l’audimat ? Les ingrédients pour un « charity business » réussi sont toujours les mêmes : larmes, identification, mise à nu intégrale de l’intime. Ces programmes sont affligeants. Une telle médiatisation ne cherche-t-elle pas à faire perdre à ces personnes le peu de dignité qui leur reste ?
Depuis quelques temps, la télévision s’est autoproclamée promotrice de grandes manifestations caritatives : le Téléthon, Les Enfoirés, Sidaction,… Autant d’émissions poursuivant un même objectif : la récolte de dons pour des œuvres caritatives. La précarité est un sujet moderne. Un thème qui fédère. Super. Je n’ai rien à redire. Si ces émissions permettent formellement de soutenir des gens dans la nécessité, il n’y aurait nulle logique de s’en passer.  Mais – car il y a un mais – à la télévision, les dérives font légion. Depuis 2008 –le début de la crise – l’instabilité économique de la société est de plus en plus exhibée sur nos écrans, aucune chaîne n’y échappe. Là où les choses se compliquent, c’est au moment où l’on se met à parler de précarité dans les « talks-shows », ces émissions de divertissement durant lesquelles un animateur se consacre à un sujet bien précis avec ses invités. Les manifestations de type « Téléthon » ont pour objet d’aider les indigents en leur donnant de l’argent. Soit. Mais qu’en est-il des buts d’un talk-show ? La précarité est abondamment reprise dans ces émissions de divertissement : l’ancienne émission « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue sur France 2, « Tous ensemble » sur TF1, « Zone Interdite » sur M6, … Il est dès lors compliqué de ne pas songer aux dividendes et à l’utilité de faire de l’audimat, deux objectifs qui règnent en maître dans toutes les grandes chaines. Car il ne faut pas le taire, la télévision est une institution poursuivant une issue très précise : engendrer du bénéfice. Et tout est pensé en fonction de cet objectif.
Raymonde vient raconter son histoire sur le plateau, et tout le monde chiale
Dans la majorité de ces productions, le principe est élémentaire : il s’agit de faire sangloter les invités en direct pour sensibiliser les téléspectateurs à l’ascension de la précarité. Ces invités sont triés avec soin : ils ne sont ni trop âgés, ni trop vilains, ni trop sans-logis non plus, ni trop abîmés. Le champ est bien déterminé. Accompagnés de leurs récits, ils doivent parvenir à émouvoir la quantité le plus étendue de téléspectateurs possible. Fréquemment, Raymonde nous parle de ses quatre gamins et de sa caravane qui brinquebale sur une roue… et tout le monde chiale. Pauvre Raymonde. Elle n’a pas une existence simple… Et Raymonde de s’étaler sur ses conditions de vie pénibles, sur son compagnon qui l’a abandonnée à la naissance du cadet, et sur sa profession qui ne la laisse récupérer que quelques instants chaque nuit. Raymonde est effectivement à plaindre. Mais doit-elle nécessairement faire part de ses difficultés au travers d’un talk-show ? Se rend-elle compte des effets que peut avoir la médiatisation ? La télévision lui offre de regagner une dignité oubliée en exposant ses maux aux yeux de tous, étonnant non ? Elle la plonge surtout fondamentalement dans l’avilissement.  Comme Raymonde, le commun qui accepte de venir témoigner le fait sans ambiguïté, en toute sincérité. Cette femme vient dans l’attente d’accomplir une utopie, d’obtenir un soutien psychologique, pécunier  ou affectif. Face à cela qu’est-ce qui motive réellement les concepteurs et présentateurs de telles retransmissions ? Sont-ils exactement dirigés par le désir de secourir ? Il n’est pas compliqué d’en sérieusement douter puisque la télévision court surtout après l’audience. Dénoncer le dénuement pour gagner de l’argent… Quel paradoxe !
Divulgation de l’intimité: les intervenants  se livrent dans les moindres détails
Les émissions de ce type se fondent toutes sur le même dispositif : le public fait connaissance avec quelques individus  sur le plateau. Suite à des accrocs de la destinée, ils ont trébuchés dans un grand dénuement et, la gorge étranglée, ils viennent exhiber leurs peines sur le devant de la scène. La télé fait alors appel aux pleurs, s’enlise piteusement dans le pathos. L’animateur interroge – couramment d’interrogations d’un goût plus que douteux – et les aveux pathétiques s’enchaînent. Les gros plans sur les yeux écarlates ne ratent pas. Pour que l’audimètre soit élevé, les témoins doivent s’exposer avec un faste de détails intimes sans pareil. Car de nos jours  les médias divulguent l’intime. Il faut inlassablement plus d’images et de confidences. Sous l’endoctrinement de la télé-réalité, les talk-shows s’imaginent à présent soumis à s’orienter vers des sujets plus proches de l’intime ou de la simple nudité. Mais les témoignages ne contentent plus. Les caméras infiltrent  les sphères privées et offrent d’authentiques reportages. Ils s’insinuent au cœur de l’infortune des gens et mettent en scène les malheureux présents sur le plateau. Ce qui importe, c’est d’exhiber des visages, des cas appropriés, des parcours solitaires, pour que le spectateur puisse se reconnaître au travers de ces tragédies. Le présentateur n’a jamais recours aux statistiques ou autres données fiables et les réponses collectives sont prohibées. Ces chroniques sont inévitablement escortées de ralentis et de musique pompeuse. Et les cœurs sensibles que nous sommes sont émus par tant de pauvreté. Pauvre Raymonde…
Des comédiens et des reportages falsifiés?
Couramment, ces immersions dans la vie – exposées comme patentes – se confirment être le fruit d’importantes scénarisations. Des cas de recours à des personnages fictifs ou semi-fictionnalisés y ont parfois même été attestés. Cela laisse présumer que les reportages corrompus sont, en évidence, plus nombreux qu’on ne le soupçonne… Néanmoins le public convole, à la fois voyeur et exhibitionniste. Voyeur, car il contemple , se délecte de sa chance en comparaison de cette pauvre Raymonde à la télévision. Exhibitionniste, car certains êtres n’hésitent pas à venir révéler leurs conditions ou difficultés de vie. Strip-tease pour le moins méprisable…
Des numéros de téléphone surtaxés
De retour sur le plateau, l’animateur finit alors d’achever les meilleures volontés en posant des questions plus qu’indiscrètes. Et là, tout le monde fond. Cette mise en scène n’est-elle pas au plus haut point avilissante pour les individus que l’on expose de cette manière ? Les téléspectateurs, amollis et charitables, ne sont-ils pas grugés aussi ? L’un de ces programmes était escorté d’un appel à la solidarité téléphonique. Durant celle-ci, les téléspectateurs pouvaient appeler un numéro de téléphone surtaxé pour offrir leur soutien aux personnes en situation d’infortune, présentes sur le plateau. En fait, ces émissions  créent une sorte de faux semblant, comme une histoire, un conte de fées contemporain : la perception que tous les problèmes seront réglés d’un simple coup de baguette magique. Or c’est tout naturellement chimérique… En résumé, dans notre société dite de consommation, le miroir aux alouettes ne devient-il pas calife à la place du calife ?

Vivre avec un historien d’art indépendant: mode d’emploi

Vous avez rencontré sur votre chemin un historien d’art indépendant et vous aimeriez en savoir plus sur cet étrange  « Indiana Jones » des temps modernes, aussi énigmatique que sa drôle de dégaine le laisse entrevoir. Époux, épouses, amoureux, amoureuses, partenaires de PACS, amis, copains, voisins, illustres inconnus croisés dans la rue, c’est à vous que je m’adresse. Voici un petit guide pour mieux déchiffrer, autant que cela soit possible, le mode de vie et les besoins de cet extra-terrestre.
Tout d’abord comprenez bien que ce billet considérera exclusivement de l’historien indépendant. Inversement proportionnel à son homologue fonctionnaire, l’indépendant est un loup perpétuellement à la recherche d’une occasion de gagner sa croute, mais nous y reviendrons…
Travail
Alors que vous partez au bureau, l’air serein du salarié qui sait déjà comment va se dérouler sa journée, à quelle heure elle va se terminer et que votre seule préoccupation est d’ouvrir le deuxième œil avant de franchir le seuil de votre entreprise, lui est déjà assis à son bureau devant son ordinateur. Quand vous revenez du travail après une dure journée de labeur formatée, lui est toujours assis devant son ordinateur. Alors que vous avez enchaîné réunions, besogne et déjeuner d’affaires, l’historien vous donne le sentiment que le temps s’est arrêté chez lui. Non, non, ce n’est pas le cas ! Simplement, il vous faut comprendre que l’historien dispose d’une singulière aptitude à passer de nombreuses heures à la même place. En fait, son milieu naturel est entièrement maximisé en fonction de ses obligations : clavier et souris superergonomiques, écran configuré de sorte à ne pas épuiser la vue ou ses lunettes à plusieurs foyers, siège datant souvent d’un autre siècle et dont le confort optimum est inspiré des instruments de tortures médiévaux (avouons-le l’historien est par essence un peu maso), ordinateur puissant, table de travail aux proportions excessives… L’historien a su aménager son terrier pour y passer de longues heures. Et puisque nous en parlons, de quelle façon les comble-t-il ?
Au moment où vous quittez votre domicile, lui va accomplir le premier geste de sa journée de labeur: faire du café. Après, son sempiternel mug à portée de main, il s’assied à sa table, dont le fourniment ne laisse rien à la chance. Étudions son milieu naturel: le siège sur lequel il prend place a surement fait l’objet d’une longue recherche. Si, si ! Imaginez les heures entières qu’il a immanquablement  passées dans les brocantes et dépôt-ventes de toutes sortes à chercher la perle rare, celui qui livrera l’inspiration, qui est suffisamment inédit tout en s’accordant idéalement au reste de sa décoration quasiment étudiée, et fondamentalement celui qui semble vouloir relater son histoire… pour en définitive opter pour la chaise  qui est déjà sur place, celle en formica qui traine dans un recoin car la perle rare sur laquelle poser son séant honorablement fera, gageons-le, partie d’une des grandes quêtes insolubles de sa vie. Et tant pis pour ses lombaires ou ses cervicales coincées, son dos voûté et ses fesses douloureuses. Il allume son ordinateur et classe ses notes, ordonne ses livres, empile ses documents, sa check list à portée de vue, les photos qu’il a découvertes ou prises non loin de là, saisit sa souris spécialement prévue pour lui éviter un syndrome du canal carpien et commence par lire ses e-mails, puis passe en revue ses abonnements RSS, ses journaux favoris, se connecte à MSN, etc. Cela peut paraître paradoxal, mais pour quelqu’un qui sort peu de chez lui, le chercheur est souvent très bien informé ! Mais rarement de l’actualité commune… Ne vous leurrez pas ! Ce n’est pas parce qu’il est capable de vous exposer chaque minute de la dernière expérience de datation au carbone 14 ou vous expliquer  la mise à jour de la charte d’éthique concernant la conservation préventive de l’UNESCO que cet animal aux yeux rouges n’a rien fait de sa journée, bien au contraire. Le chercheur est un individu multitâche capable d’écouter le dernier colloque au sujet de la refonte du système institutionnel de recherches universitaires, de lire les mises à jour de son compte Facebook, tout en négociant sa prochaine pige alimentaire et en avançant dans son analyse iconographique en cours, sa tasse caféinée à la main. Une simple question d’habitude !
Il peut arriver que vous le surpreniez à parler tout seul durant un long moment. Pas d’affolement, n’appelez pas l’hôpital psychiatrique le plus proche : pour protéger le flux incessant de ses réflexions d’une surchauffe intellectuelle mal venue, l’expert a fini par prendre l’habitude d’exprimer ses pensées à haute voix, de spéculer en mode sonore, de dialoguer avec lui-même, car la parole, c’est bien connu, n’ira jamais si vite que son encéphale véloce !
Parfois, le besoin de recherches sur le  terrain l’amène à sortir de chez lui. Quitter son ordinateur, ses bouquins et prendre le risque de rencontrer des gens bien en vie ? En chair et en os ? Pas de problème, notre aventurier des temps modernes a dans son cabas un appareil photo, un caméscope, un carnet de notes, un téléphone portable, une barre multivitaminée, des bottes à bout renforcé, un plan détaillé, une boussole, une thermos de café, ses lunettes de vue, de soleil, de l’écran total, un exemplaire de la vie des peintres de Vasari, un autre d’ E. Panofsky ou F. Villon suivant l’humeur, savant panachage lui permettant de survivre en milieu hostile pendant au moins quelques heures où qu’il se trouve.
Un travailleur acharné, le chercheur en art ? Heureusement, non. Il a aussi des congés et une vie sociale !
Loisirs
Si vous ne deviez vous souvenir que d’une chose sur ce qu’est l’historien indépendant, c’est que c’est un individu insatiable de savoir. Quoi de plus évident, tandis qu’on passe l’essentiel de sa vie à se documenter pour mieux interpréter ? Aussi, même dans ses loisirs, l’historien a une propension à être un geek. Qu’il pratique le volley-ball, la danse orientale, qu’il joue au backgammon ou se passionne pour le scrapbooking, le chercheur s’est informé sur l’activité qui ’adopte. L’amateur de gastronomie sera chevronné pour vous livrer la date à laquelle est sorti le premier viandier et qui était Taillevent, le skieur patenté est évidemment au courant du nom de l’inventeur  et du contexte historique des premiers skis, de tous les perfectionnements qu’ils ont obtenu au cours des années, et je ne vous parle pas du cinéphile ! Le pire, c’est peut-être de sentir avec quelle aisance l’astre dément que vous côtoyez est parvenu à s’attribuer ces connaissances, comme si c’était une évidence : « ben quoi, tu ne savais pas que le mascara c’était de la poudre d’antimoine au départ ? » dira l’adepte de cosmétiques, prête à professer l’histoire du maquillage aux vendeuses de Sephora.
Vie sociale
Fort heureusement, l’historien a quand même une vie sociale. D’abord, il y a ses proches, les copains et la famille. Si ce sont des relations de longue date, ils sont généralement familiarisés aux comportements insolites chercheur et savent qu’il est capable de relater l’histoire de la galette des Rois dans toutes  les régions de France (ou plus si affinités) à toute la famille assemblée pour l’épiphanie ou qu’il est le seul à arborer un ordinateur en congés pour écrire quelques pages pendant que les autres se reposent… Si ce sont des connaissances récentes, l’expert se dévoilera souvent à l’écoute de ses semblables humains. Eh oui, car sa profonde curiosité fait qu’il a perpétuellement l’air passionné par les gens qu’il rencontre, particulièrement s’ils ont une profession principalement artisanale, d’expertise ou artistique, pleine de techniques à connaitre et à creuser. Il ira encore de temps à autre jusqu’à laisser sa carte, on ne sait jamais, la vie est une opportunité de réseau. Quelquefois, il ne peut s’empêcher d’exhiber sa culture. De ce fait, si vous passez une soirée entre amis, proscrivez les quiz et autres Trivial Pursuit ! Après cinq victoires successives, plus personne ne désire jouer avec lui.
Le soir, en rejoignant son domicile, ce cher amour ne cesse de bassiner tout ce qui bouge et porte oreilles sur cette conférence formidable au sujet de l’emploi de l’hermine dans la peinture al fresco au 16 ème siècle, de vous décrire les individus vieux de plusieurs siècles qu’il a rencontrés au détour d’un manuscrit ou d’une base de données, de promettre de vous présenter in situ le dernier débris du chevalet de ce peintre ignoré de tous mais qui a toutefois une importance irréfutable aux yeux de la science et de vous rapporter tous ces bons mots et autres jeux d’esprit de coupeurs de cheveux en quatre que vous ne saisissez pas. Soyez magnanime et à défaut de comprendre son exaltation, faites au moins mine de vous y intéresser ! N’oubliez pas que lorsque vous, vous avez passé une semaine complète avec des collaborateurs que vous ne désireriez surtout pas croiser en plus le weekend, l’historien d’art, lui, n’a vu personne (sauf des morts, des tombes et des livres et encore des bases de données). Comprenez-le, pouvoir retrouver des gens qui vivent dans le réel, pour converser d’un sujet qui le passionne (qui a dit qui n’intéresse que lui ?), c’est un peu comme aller à Disneyland ! Et le plus beau, c’est de sentir avec quelle fièvre il tentera de vous persuader de la majesté de la dernière réforme du code des usages au 17 ème ou d’aller voir un film d’auteur sur la vie de Pieter Bruegel sous-titré en scandinave.
Époux, épouses, amoureux, amoureuses, partenaires de PACS, amis, copains, voisins, illustres inconnus croisés dans la rue, voici donc une ébauche de l’ordinaire de votre historien d’art indépendant préféré, fait de transcriptions, de culture, de révélations, de solitude et très souvent d’humour. Ce martien est un passionné et un exalté, mais n’est-ce pas là très exactement ce que vous chérissez chez lui ?

Quelques conseils aux écrivains en herbe par Bernard Werber

1. – Le désir
Ecrire? Au commencement est le désir. Se demander pourquoi on a envie d’écrire. Si c’est pour faire une psychanalyse par écrit (et donc économiser 25 ans et 100 000 euros) mieux vaut renoncer. Si c’est pour gagner de l’argent ou avoir de la gloire, ou passer à la télévision ou épater sa maman, renoncer. La seule motivation honorable me semble être: parce que l’acte d’écrire, de fabriquer un monde, de faire vivre des personnages est déjà une nécessité et un plaisir en soi  (on peut aussi admettre comme motivation: épater une fille dont on est amoureux).
2. – Les handicaps
Le principal problème de l’écriture, c’est que c’est un acte solitaire absolu. On est seul avec sa feuille et soi même. Si on a rien à dire aux autres ni à se dire à soi même, l’écriture ne va que vous faire mesurer ce vide intérieur. Désolé. Il n’y a pas d’acte qui ne soit pas avec des contreparties. Si vous devenez écrivain professionnel «sérieux » préparez vous à passer au moins 5 heures par jour enfermé seul devant un ordinateur, une machine à écrire ou un calepin. Vous en sentez-vous capable?
3. – Un artisanat
On dit que pour réussir il faut trois choses: le talent, le travail et la chance. Mais que deux suffisent. Talent plus travail, on n’a pas besoin de chance. Talent plus chance, on n’a pas besoin de travail. Travail plus chance, on a pas besoin de talent. Vu qu’on ne peut pas agir sur la chance, mieux vaut donc le talent et le travail.
Comment savoir si on a le talent…? En général les gens qui ont le talent d’écrire ont déjà pris l’habitude de raconter des histoires à leur entourage. Ils prennent plaisir à relater des événements vécus ou lus, et naturellement on a envie de les écouter. Ce n’est pas obligatoire mais c’est un premier signe. Souvent les gens qui racontent bien les blagues finissent par comprendre les mécanismes d’avancée d’une intrigue et d’une chute. La blague est l’haïku du roman. D’ailleurs tout bon roman doit pouvoir se résumer à une blague.

4. Lire
On doit lire le genre de livres qu’on a envie d’écrire. Ne serait-ce que pour savoir ce que les autres auteurs, confrontés aux mêmes problèmes, ont fait. On doit aussi lire les livres des genres qu’on n’aime pas forcément ne serait ce que pour savoir ce qu’on ne veut pas faire.
5. Se trouver un maître d’écriture
Se trouver un maître ne veut pas dire copier, ni plagier. Cela veut dire être dans l’esprit, la liberté, la manière de développer les histoires de tel ou tel. Il n’y a pas de contradictions avec la loi un peu plus bas sur l’originalité. Lire peut vous permettre de décomposer les structures comme si on démontait un moteur de voiture Mazeratti pour voir comment c’est fait. Cela ne vous empêche pas de construire autrement une Lamborgini.
6. Accepter le statut d’artisan
Ecrire est un artisanat. Il faut avoir le goût à ça, puis l’entretenir régulièrement. Pas de bon écrivain sans rythme de travail régulier. Même si c’est une fois par semaine. Ensuite on est tout le temps à l’école. Chaque livre va nous enseigner un petit truc nouveau dans la manière de faire les dialogues, le découpage, de poser vite un personnage, de créer un effet de suspense. C’est ça l’artisanat. Surtout ne vous laissez pas impressionner par les passages des écrivains à la télévision ou les interviews de ces écrivains… Ce ne sont que des attitudes. Le vrai artisanat ne peut pas être montré là-bas. Et n’oubliez pas que ce n’est pas parce qu’un auteur passe bien à la télé ou est beau ou souriant que c’est un bon artisan. C’est juste un bon type qui passe à la télé dans le rôle d’écrivain. En général plus ils sont sérieux, plus ils impressionnent. La seule manière de savoir ce que vaut un écrivain est de le lire. La seule manière de savoir ou vous en êtes dans votre artisanat est de demander à vos lecteurs ce qu’ils pensent de vos livres.
7. L’inspiration
En fait, bien souvent, l’inspiration vient d’une résilience. On souffre dans sa vie donc on a besoin d’en parler par écrit pour prendre le monde à témoin. Par exemple quelqu’un vous a fait du mal; vous ne vous vengez pas par des actes, vous vous vengez par écrit en fabriquant une poupée à son effigie et en y plantant des aiguilles d’intrigue. A la fin le héros casse la figure à la poupée à l’effigie de votre adversaire. On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Je le crois. Si on est complètement heureux satisfait de tout ce qu’on a déjà pourquoi se lancer dans l’aventure hasardeuse de l’écriture ? A la limite je conçois qu’une fois qu’on est écrivain professionnel l’écriture devienne en soi une sorte de quête du graal, du livre parfait, mais là encore c’est une frustration à régler. Donc une souffrance. Oui dans l’écriture il y a forcément une vengeance contre quelque chose ou quelqu’un. Ou en tout cas un défi à relever.
8. – L’originalité
Un livre ou une histoire doit apporter quelque chose de nouveau. Si ce que vous faites est dans la prolongation de tel ou tel ou ressemble à tel ou tel ce n’est pas la peine de le faire. Tel ou tel l’a déjà fait. Il faut être le plus original possible dans la forme et dans le fond. L’histoire ne doit ressembler à rien de connu. Le style doit être neuf. Si on dérange des imprimeries et si on abat des arbres pour avoir de la pâte à papier, c’est qu’il faut avoir quelque chose à apporter en plus avec son manuscrit.
9. La fin
Si le lecteur découvre qui est l’assassin ou comment va se terminer le livre dès le début ou le milieu, vous n’avez pas rempli votre contrat envers lui. Du coup, pour être sûr d’avoir une fin surprenante, il vaut mieux commencer par écrire la fin puis le cheminement qui empêchera de la trouver.
10. – Surprendre
Il faut surprendre à la conclusion, mais il faut toujours avoir une envie de surprendre à chaque page. Il faut que le lecteur se dise à chaque fois «ah ça… je ne m’y attendais pas». Les romains inscrivaient à l’entrée des théâtres “Stupete Gentes” qu’on pourrait traduire «Peuple préparez vous à être surpris ». Surprendre son lecteur est une politesse.
11. Ne pas vouloir faire joli
Beaucoup de romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu’il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d’être poètes. Au moins c’est plus clair. Toute scène doit avoir une raison d’être autre que décorative. Le public n’a pas (n’a plus?) la patience de lire des descriptions de paysages de plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans informations qui n’en finissent pas. La forme ne peut pas être une finalité, la forme soutien le fond. Il faut d’abord avoir une bonne histoire ensuite à l’intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais sans abuser de la patience du lecteur.
12. Recommencer
Ne pas avoir peur de tout recommencer. En général le premier jet est imparfait. On a donc deux choix, soit le rafistoler comme une barque dont on répare les trous dans la coque avec des bouts de bois, soit en fabriquer une autre. Ne pas hésiter à choisir la deuxième solution. Même si l’informatique et le traitement de texte autorisent toujours des rafistolages. C’est un peu comme le “master mind”. C’est parfois lorsqu’on a tout faux qu’on déduit le mieux comment faire juste. J’ai refait 120 fois “les fourmis” et franchement les premières versions n’étaient pas terribles.
13. Les lecteurs tests
Trouver des gens qui vous lisent et qui n’ont pas peur de vous dire la vérité. La plupart des gens auxquels vous donnerez votre manuscrit à lire se sentiront obligés de vous dire que c’est la 7ème merveille du monde. Cela ne coûte pas cher et ça n’engage pas ; Par contre dire à un auteur, “Ton début est trop long, et ta fin n’est pas vraissemblale” signifie souvent une fâcherie avec l’auteur. Pourtant ce sont ceux qui auront le courage de vous dire cela qui seront vos vrais aides. Et c’est à eux qu’il faudra donner en priorité vos manuscrits à lire pour avoir un avis. Vous pouvez aussi écouter les félicitations pour les scènes réussies. Mais ne soyez pas dupe. Mettez votre ego de coté. Fuyez les flatteurs qui ne sont pas capables d’expliquer pourquoi cela leur a plu.
14. Raconter à voix haute
Ne pas hésiter à raconter oralement votre histoire. Tant pis si vous prenez le risque de vous faire piquer l’idée. En le racontant oralement, vous sentez tout de suite si cela intéresse et vous vous obligez à être synthétique et efficace. Voir en direct ses lecteurs réagir à une histoire est très instructif.
15. Les personnages
Soigner les caractères des personnages principaux en faisant une fiche avec leur description physique, leur tics, leurs vêtements, leur passé, leur blessures, leurs ambitions. Prenez pour fabriquer un personnage des caractéristiques à vous ou a des amis proches. Bref, des êtres que vous connaissez un peu en profondeur. Il faut les rendre attachants et crédibles. Il faut que les gens puissent se dire “Ah oui, ce genre de personne cela me rappelle un tel”. Qu’ils se reconnaissent en eux, c’est encore mieux.
16. L’adversité
Il faut que votre héros ait un problème à régler. Plus le problème est gros plus l’interêt du lecteur est fort. L’idéal est de donner des handicaps au héros de manière a ce qu’on se dise il n’y arrivera jamais. Exemple: l’enquêteur est aveugle et le tueur est non seulement le roi de la maffia mais en plus il a des talents de télépathie et c’est quelqu’un qui a beaucoup de chance. Plus le héros est maladroit plus le méchant est fort plus on est intéressé. Le système est: l’auteur met son héros dans des problèmes que le lecteur jugera insurmontables et l’auteur sauve à chaque fois in extremis son héros d’une manière que le lecteur n’avait pas prévu.
17. Alterner les formes
Les lecteurs ont souvent des journées fatigantes, ils lisent pour se détendre, donc il faut penser à ne pas les ennuyer. Pour cela, alterner les scènes d’actions et de dialogues. Mettre le maximum de coups de théâtre inattendus. Ne pas oublier que la lecture est un plaisir et que l’objectif n’est pas que le lecteur se dise que l’auteur est doué; il doit se dire “mais qu’est-ce qui va arriver à la scène suivante”?
18. Transmettre du savoir
La fonction des livres est aussi d’apprendre des choses. La forme est un élément, mais si après avoir lu un livre un lecteur sait quelque chose qui lui permettra de nourrir les conversations ou les dîner, c’est quand même un intérêt de la lecture.
19. Aller voir sur place
Un: s’informer. Deux: réfléchir. Trois: écrire. S’informer est indispensable. On ne parlera bien d’un lieu que si on y est allé pour faire des repérages. On ne parlera bien d’un métier que si on a discuté avec une personne qui la pratique. Évidemment on peut imaginer, mais le plus on se frottera au réel, le plus on découvrira de choses et on pourra raconter d’anecdotes vrais. Et le lecteur sent tout de suite ce qui est pur délire d’auteur et ce qui est une observation réelle.
20. Avoir une volonté d’être compris par tous
Souvent les critiques parisiens taxent les auteurs qui touchent tous les publics “d’auteurs populaires”. Avec une connotation péjorative dans le mot populaire, sous entendu que si cela plaît au grand public c’est que ce n’est pas de la grande littérature. Victor Hugo se vantait d’être un auteur populaire, de même que Alexandre Dumas, Jules Verne et Flaubert. Mozart faisait de la musique populaire et s’en flattait. Tous les auteurs “non populaire” qui vivaient à la même époque ont été oubliés, qu’ils soient grand poètes, grands académiciens, grands écrivains de cours ou de salon. L’histoire les a balayés avec leurs jolies tournures de phrases et leur effets de manches. De même que tous les auteurs maudits qui revendiquaient comme un titre le fait de n’être compris que par un public restreint on en effet été effacés. Logique. Il est beaucoup plus difficile de plaire au large public qu’à un groupe de soit disant arbitres des élégances. Faire simple et clair réclame beaucoup plus de travail que de faire grandiloquent, incompréhensible, et rempli de sous entendus que l’auteur est le seul à connaître.
21. Se plaire à soi même
Pour plaire au lecteur il faut se mettre à sa place. Ecrire des livres qu’on aurait envie de lire si ce n’étaient pas les nôtres. Ne jamais se dire “j’écris cela, ça ne me plaît pas, mais ça leur plaira”. On est soi-même la première personne qui doit s’amuser à lire le livre. Répétons-le: S’il n’y a pas de plaisir d’écriture, il ne peut pas y avoir de plaisir de lecture ensuite.
22. L’initiation des personnages
Une bonne histoire est aussi une initiation. Au début le héros dormait sur ses lauriers ou sa fainéantise. Une situation de crise va l’obliger à s’apercevoir qu’il est beaucoup plus que ce qu’il croit. Mettre les personnages en situation de danger pour les obliger à révéler leurs talents cachés. Et le lecteur en vivant dans la peau du personnage va faire la même expérience de transformation. Un bon livre est un livre qui transforme son lecteur en le faisant se prendre pour le héros.
23. Faire des plans
Quand vous avez un bon premier jet brut, essayez de trouver une manière de le découper de l’organiser pour qu’il soit rangeable dans des chapitres. En général on organise le livre en trois actes: Début. Milieu. Fin.
Début. Le début est en général le lieu de la scène d’exposition. On découvre où ça se passe. Quand ça se passe. Qui agit. Et le plus rapidement possible quelle est la problématique. L’idéal est de réduire au maximum le décollage du début, il faut que l’exposition soit la plus rapide possible pour que le lecteur n’attende pas avant d’être dans l’histoire.
Le milieu. Le milieu est souvent le ventre mou du livre. On prolonge la problématique, on en invente des secondaires, on gère la progression dramatique.
La fin c’est soit le coup de théâtre surprise, soit la grande explication de l’histoire cachée, soit l’apothéose.

24. Les portes ouvertes, portes fermées
Dans les scènes du début on ouvre des portes. Ce sont des problématiques: “qui a tué?”, “vont-ils s’aimer?”, et “qui est cette dame en noir qui surgit de temps en temps?”. A la fin il faudra penser à toutes les refermer. “C’est le fils du paysan qui a tué”, “ils vont s’aimer mais cela ne sera pas facile”, et “la dame en noir c’est en fait le fils caché de la concierge déguisé en femme depuis son voyage au Brésil ou il a connu l’enfer et qui recherche l’identité de son vrai père” Bien vérifier qu’il n’y ait pas de portes ouvertes béantes (soudain on ne parle plus de la dame en noir) ni de portes fermées qui n’ont pas été ouvertes (soudain un personnage révèle qui il est, mais on n’en parlait pas au début).
25. L’envoi aux éditeurs
Investir dans la photocopieuse et envoyer son manuscrit à un maximum d’éditeurs. De préférence ceux qui ont des livres qui ressemblent dans leur genre au votre. Pas la peine d’envoyer de la science-fiction à un éditeur de poésie.
26. Les lettres de refus
Les éditeurs reçoivent une centaine de manuscrits par jour. Donc ils ont du mal à distinguer le bon grain de l’ivraie. Ils utilisent pour cela des lecteurs, soit des professeurs de français à la retraite, soit des étudiants, soit des amis qui aiment lire qui leur font ensuite des fiches. Ces gens sont souvent payés pour ce travail mais font aussi parfois cela par passion personnelle. Si les éditeurs vous répondent tous que cela ne leur plaît pas, ce n’est pas définitif. Essayez de savoir pourquoi en les appelant et refaites un manuscrit en tenant compte de leurs remarques. Ou s’il n’y a pas de remarque, refaites quand même un manuscrit en tenant compte de l’avis de vos lecteurs négatifs ou de votre propre évolution. Puis renvoyer, il y a quand même une part de chance en renvoyant au même éditeur vous pouvez finir par tomber sur quelqu’un qui vous comprenne et vous défende dans les comités de lecture (personnellement j’ai renvoyé mon manuscrit pendant 6 ans à tous les éditeurs et j’ai reçu trois lettres de refus de mon éditeur actuel). Le découragement fait partie du mode de sélection.
27. Ne pas faire d’édition à compte d’auteur
Si personne n’est prêt à payer pour votre manuscrit c’est peut être parce qu’il n’est pas bon. Cette hypothèse ne doit jamais être oubliée. Tout le monde n’a pas forcément de talent. Et ce n’est pas grave. A la limite tentez la musique. Par contre les éditeurs qui proposent de vous de payer pour vous éditer ne distribuent que peu ou pas votre livre. Vous allez juste vous retrouver avec un tas de bouquins dans votre chambre à distribuer à vos amis. Autant faire vous même vos tirages avec votre ordinateur.